Posté le 3 novembre 2021

Restaurer nos rivières, une histoire de regards

Le mauvais état écologique d’une rivière n’est pas une fatalité. Le diagnostic laisse place à l’action, et des solutions existent pour contrer les nombreuses perturbations qui pèsent sur les écosystèmes aquatiques. Parmi elles, la restauration est une voie que le parc naturel régional des Vosges du nord a choisie il y a une quinzaine d’années. Quelle est la portée de ces travaux qui questionnent les frontières que l’humain a dressé entre lui et la nature ?

Depuis 2007, 145 chantiers de restauration ont été dénombrés dans tout le territoire du parc naturel régional. Derrière ces nombreuses actions réside l’espoir de rendre un bon état écologique aux cours d’eau du territoire. « L’Homme est présent partout à la surface de la planète, à tel point qu’il n’y a plus un seul écosystème qui ait échappé à son influence. » constate François Guérold, chercheur au Laboratoire interdisciplinaire des environnements continentaux, et spécialiste des écosystèmes perturbés. Pourtant, le terme même de « restaurer » un écosystème implique un retour à un état qu’il aurait perdu. Par rapport à quelle référence peut-on déclarer qu’une rivière est perturbée ?  Pour le biologiste, « une perturbation peut être de nature chimique, physique ou biologique pour un cours d’eau. Par exemple, un barrage, si petit soit-il, constitue une perturbation physique. Aujourd’hui, trouver des références est difficile, parce qu’elles n’existent plus. » L’influence humaine omniprésente empêche les scientifiques de trouver cette référence absolue, mais ce n’est pas nécessairement un problème. « On ne cherche pas à atteindre l’image d’Épinal d’une rivière sauvage et intouchée » précise ainsi Alban Cairault, chargé de mission rivière au parc naturel régional, « on cherche une référence relativement similaire aux rivières que l’on cherche à restaurer parmi celles qui existent, et qui ne sont pas impactées par les perturbations qu’on souhaite retirer par les travaux. » Le choix de ces références actuelles plutôt que celui d’un retour en arrière s’impose dans le protocole, car même dans un tronçon bien restauré, le patrimoine vivant originel n’est pas toujours récupérable. « C’est difficile d’espérer une restauration complète, parce qu’il arrive que les organismes présents à l’origine aient disparu sur de très vastes surfaces, et dans ce cas ils ne peuvent plus revenir » ajoute François Guérold. L’essentiel du travail consiste donc à identifier la perturbation qui pèse sur un écosystème, et à l’effacer. L’observatoire de la qualité des cours d’eau sert cet objectif de détection, base des actions de restauration.

Le ruisseau de Soultzbach, avant et après la réalisation des travaux de suppression d'obstacles
Le ruisseau de Soultzbach, avant et après la réalisation des travaux de suppression d’obstacles.

 

Du petit bout de ruisseau… 

Chaque espèce connaît des limites aux milieux qu’elle peut habiter. Dans un cours d’eau, le courant, la profondeur et le substrat sont autant de facteurs qui vont conditionner sa présence. Une rivière offrant une belle diversité dans la combinaison de ces paramètres voit augmenter la diversité des organismes qui la peuplent. C’est dans cette diversification que les chantiers de restauration trouvent leur principal levier d’action. Par exemple, la pose de troncs en travers d’un ruisseau, les déflecteurs, permet de créer des variations de courant, de largeur et de profondeur, qui vont elles-mêmes engendrer un mouvement du sable, et donc une modification du lit de la rivière. Ces différences dans la morphologie du cours d’eau sont autant d’habitats à coloniser pour les peuplements biologiques. 

L’évolution qu’initie la pose de ces déflecteurs est un effet indirect, qui n’est pas forcément prévisible à long terme. Pour autant, elle est inévitable, car chaque action sur le cours d’eau amène nécessairement à une réaction, comme l’explique Alban Cairault : « La rivière, souvent, trouve par elle-même le bon chemin à partir du moment où l’on parvient à jouer sur les principaux facteurs régissant son fonctionnement. Ce qu’il faut c’est parvenir à l’accompagner, il suffit parfois d‘enlever un seuil, de l’orienter légèrement différemment pour qu’elle fasse elle-même la majeure partie du travail. » Adapter la démarche de restauration à la logique fluctuante de la rivière est ce qui fait la force d’une restauration raisonnée et pérenne. 

 

Cartographie fine des habitats
Cartographie fine des habitats de trois ruisseaux. A gauche, le tronçon non restauré, au milieu, le restauré et à droite le site de référence, peu perturbé.

Sur le site non restauré, le courant est toujours le même, les substrats sont uniformes : la mosaïque d’habitats n’est pas diversifiée. La pose de déflecteurs sur le site restauré a permis une diversification des courants, et donc le mouvement des sédiments. Cette nouvelle répartition a fait apparaître une grande diversité d’habitats et d’espèces. Le site de référence offre plus d’habitats et d’espèces, mais celles-ci sont plus spécifiques, moins fréquentes.

…au bassin versant…

« Il ne faut pas seulement penser la restauration à l’échelle d’un petit bout de ruisseau, mais comme l’amélioration globale d’un réseau hydrographique. Si l’on atteint une bonne qualité de l’eau à l’aval c’est qu’on a certainement réussi à restaurer tout l’amont » rappelle François Guérold. Les chambardements, même naturels, font partie de la dynamique d’une rivière. Ceux-ci représentent autant de risques pour un individu de voir disparaître son habitat à un moment donné, et dans ce cas, la continuité qu’offre la rivière doit lui permettre de trouver un nouveau lieu où prospérer. Cependant, les siècles d’exploitation des cours d’eau ont laissé des traces, comme autant d’obstacles pour la libre circulation des êtres vivants. Supprimer un seuil inutile, un étang à l’abandon, créer des rivières de contournement : toutes ces interventions gomment progressivement l’obstruction humaine de la marche des espèces. De fait, l’écosystème gagne en résilience.

Les nombreux ruisseaux de têtes de bassin versant que compte le parc des Vosges du Nord confèrent un impact important aux travaux de restauration. Le projet Life Biocorridor, sur lequel le parc est maîtrise d’ouvrage, implique la Réserve de biosphère transfrontière. Cette approche internationale permet de coordonner les chantiers au-delà de la frontière allemande pour reconstituer les continuités des habitats à large échelle.

 

...jusqu’au regard du passant

À travers la restauration, une nouvelle dynamique se crée avec la rivière, liée à l’ensemble de ses usages et de son histoire. Une telle évolution ne peut s’imaginer sans les habitants. « Je suis passé  dans un village où tous les bancs au bord de l’eau étaient dos à la rivière, j’ai trouvé ça symboliquement très fort. » Pour Alban Cairault, la restauration des rivières doit s’accompagner d’un réenchantement global, d’une reconquête de la rivière par la population. « Il faut retrouver un contact privilégié avec elle, la remettre au cœur de nos villages, de nos vies collectives, et peut-être, enfin, remettre les bancs face à la rivière. Ce qui se présente sous leur miroir n’est que trop rarement mis en valeur, et pourtant c’est un univers tellement sensible ! Il y a quelques rivières qui ne font que murmurer et qu’il serait tellement plus intéressant d’entendre chanter. » Ces voix, certains ruisseaux les ont retrouvées, et sont aujourd’hui audibles pour celui qui, comme François Guérold, sait tendre l’oreille « Je suis scientifique, mais je chérie ces moments où, assis au bord d’un cours d’eau, je m’arrête pour écouter la rivière chanter. »

Agenda

Atelier / stage

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